Une pause avant le travail [Ayden]

J’apprécie ses paroles d’encouragement. Je suis bien conscient que nous ne sommes pas tout puissants, que nous avons tous nos faiblesses. Néanmoins, il est normal de faire en sorte d’apprendre de nos erreurs. Personnellement, j’ai décidé d’améliorer ma réactivité pour le bien de tous, malgré les conséquences que cela pourrait avoir sur le reste de mon quotidien. Après tout, l’avenir des llakisiña ne devrait pas se stopper si brutalement.
Par contre, que veut-elle dire par elle a “souvent” vu des llakisiña devenir des p’akhita ? C’est extrêmement inquiétant, ce qu’elle me dit, là. Et tous n’ont pas un changement si drastique. Certes, on le comprend très certainement mieux avec le rôle qu’elle porte que les uñjiri, mais est-ce si évident que cela ? Je ne peux empêcher de la regarder avec surprise alors qu’elle me dit cela, tentant également de me rassurer quant au fait qu’elle ne soit pas restée sans rien faire. Pour autant, je ne suis pas rassuré…

Dès lors qu’elle a terminé de me remercier, l'ayant laissée me faire un câlin sans pouvoir le lui rendre tant je suis choqué par ce qu'elle vient de m'avouer, et qu’elle est maintenant en train de bouder pour une raison que je ne comprends pas, je me tourne vers elle et je la prends par les épaules. Je suis certainement un peu brusque, mais cette situation qu’elle me décrit est effrayante à mes yeux et il faut absolument qu’elle m’explicite ce qu’elle veut dire réellement. C’est pourquoi je lui demande :



Il est très rare que je perde autant mon sang froid. Néanmoins, comme je le lui ai dit, je ne veux pas voir le cauchemar que je viens de lui décrire recommencer. Hors, avec ce qu’elle me dit, c’est justement ce que je suis en train d’entrevoir. Un cauchemar que personne ne peut arrêter et qui pourrait amener Ilaki à être en très grand danger si jamais les p’akhita commencent à comprendre les secrets et à les partager à tout le monde. Je ne veux pas voir toutes ces personnes souffrir sans avoir de retour en arrière possible…

Après quelques secondes, je me rends compte de mon geste et je la relâche en douceur, légèrement tremblant. Honteux, je me détourne partiellement en me cachant les yeux et je lui murmure :



Cela ne pardonne en rien ma faute. Je l’apprécie énormément, pour ne pas dire qu’elle est la seule amie, la seule personne vers qui je sais pouvoir me tourner si jamais quelque chose ne va pas. Pourtant, je viens de faire preuve de si peu de retenue avec elle, sans doute même ai-je pu lui faire mal. La peur n’est pas une excuse valable d’un tel comportement à mes yeux. Au contraire, j’aurais dû savoir me contenir. Un tel manquement… Puis-je encore dire que je suis un bon uñjiri ?
Cette interrogation attendra. Malgré tout, je veux une réponse à mes questions. Je dois connaître la fréquence exacte de llakisiña qui deviennent des p’akhita. Déjà pour le noter dans les archives, élever le degré de vigilance autant chez les uñjiri que chez les irpiri et, ainsi, éviter une nouvelle catastrophe.

Sa réponse tombe bien avant mes excuses, m’apportant un soulagement indescriptible. J’ai vraiment cru qu’elle en avait vu bien plus que ça devenir des p’akhita. Une moyenne de un par an sur tous ceux qu’elle suit, c’est une moyenne raisonnable, d’autant plus que nous ne pouvons pas totalement éradiquer ce phénomène. Pour cela, il faudrait que nous puissions avoir accès à des informations hautement confidentielles et qui sont si sensibles qu’elles pourraient mettre en danger Ilaki tout entier puisque cela touche les tabous que nous protégeons. Lors de la période que j’ai conté à mon amie, nous comptions non pas un p’akhita par an, mais au moins un par jour.
Le temps d’une seconde, je me permet de lever le visage en fermant les yeux pour souffler un peu. Le soulagement que je ressens est tel qu’il fait du bien. Le travail fourni n’est pas inutile.

Malheureusement, je n’oublie pas que j’ai perdu mon sang froid et potentiellement fait du mal à July. Alors, tremblant autant à cause de l’adrénaline que par les émotions, comme lorsque je la lâche, je lui demande pardon en me détournant et en me cachant les yeux. J’ai tellement honte de mon comportement…
Je retire la main de mon visage en sentant la main de la jeune femme se poser sur mon bras. Mon regard se pose sur elle alors que, d’une voix douce, elle tente de me rassurer. Ce qui fonctionne le plus, c’est de savoir que je ne lui ai pas fait de mal. Je ne peux pas dire que ce que j’ai vu se faire par le passé ne se reproduira jamais. Après tout, ce n’était pas la première fois que cela arrivait. Nous verrons ce que nous réserve le futur. S’inquiéter de cela maintenant ne servira à rien.

Gentiment, je lui offre un sourire soulagé et, malgré moi, attendri alors que je la regarde en posant une main sur sa tête. Je lui caresse gentiment les cheveux et je lui dis :



Et grâce aux Uñjiri également. Quoi qu’il en soit, tout va bien. J’ai eu peur pour rien et la vie continue. Retirant doucement ma main, je lui propose en faisant un signe de tête vers la direction que nous prenions plus tôt :



Même si prendre une pause peut être important, nous ne pouvons pas négliger notre travail, ces rôles que nous avons choisis. C’est pourquoi je lui propose de continuer notre route vers le Centre d’informations où nous travaillons tous les deux.
Recommençant donc à marcher, je reste silencieux, profitant de me sentir un peu plus léger grâce à l’information apportée par mon amie. Au bout de quelques minutes, je finis par lui demander :



Si un tel document existe, je me vais me faire un devoir de le consulter une fois par jour. C’est beaucoup trop important pour laisser une telle affaire sans une surveillance plus poussée. Dire qu’il a fallu tant de temps avant que l’idée me vienne…

Je n’ai absolument aucun doute sur sa capacité à se mettre à la place des autres. C’est d’ailleurs grâce à cela qu’elle a eu connaissance de mes quelques travers, en plus de sa capacité d’observation. Et, de ce fait, que ce soit pour les llakisiña ou pour tous les irpiri qui, comme elle, ne supporteraient pas de voir les autres souffrir. Ils ont, mine de rien, énormément de force pour parvenir à faire de tels métiers malgré leur immense empathie puisqu’ils sont obligés de côtoyer des personnes moralement, voire parfois physiquement, souffrantes.

A ma question, la réponse que je reçois ne satisfait pas vraiment ma curiosité. Heureusement qu’ils tiennent à jour les dossiers de chacun de leur patient. Cela fait partie de leur travail. Néanmoins, je comprends que ma formulation ne devait pas être claire puisque c’est la seule option qu’elle m’offre. Ou alors, c’est que cette idée n’a jamais été mise en pratique. Je la corrige donc en restant sur le ton de la conversation :



Je prends une pause et, continuant mon avancée, je la regarde pour expliciter ma pensée :



Je prie toujours pour qu’un tel document existe mais que nous ne l’avons tout simplement pas rendu obligatoire. Je me demande pourquoi nous n’avons pas eu cette idée plus tôt. Après tout, ce serait tellement pratique. Quoi qu’il en soit, s’il n’existe pas je compte bien le créer et le présenter à tout le monde. C’est bien trop important pour que nous nous en passions. Il faudrait que je fasse une réunion pour qu’on réfléchissent tous à des moyens qui pourraient faciliter nos emplois respectifs. Après tout, une fois plus efficaces, nous pourrons offrir de meilleures conditions à tous les Ilakiens. C’est notre devoir.

Je m’en veux un peu qu’elle puisse se sentir coupable à cause de ce que je lui ai dit. Ce n’était pas mon but, bien au contraire. Malgré tout, elle garde un enthousiasme qui semble être fait pour résister à toutes les épreuves. Je sais bien que ce n’est pas vrai, qu’il y a beaucoup de choses qui peuvent la toucher. Pourtant, actuellement, elle est extrêmement impressionnante.

Finalement, elle me donne une réponse qui me soulage énormément. Ce document existe. Je prends une seconde, les yeux fermés, pour soupirer doucement pour relâcher la pression. Néanmoins, puisque je n’étais pas au courant jusqu’à aujourd’hui, je suis persuadé que d’autres du centre d’informations ne le sont pas encore.
Mon regard se tourne à nouveau vers mon amie alors que nous commençons à entrevoir notre destination. Je lui demande alors :



La première chose que je compte faire en arrivant au Centre d’informations est de vérifier ce document. Puis je compte bien faire une réunion concernant tous les irpiri et les uñjiri en début de journée demain pour mettre en ordre tout ça. Si moi je ne savais pas, alors d’autres ne le savent pas non plus. C’est un fait. Nous devons absolument nous coordonner et je compte bien mettre l’accent sur ce point, en plus de nommer l’importance de remplir ce document “apparu du jour au lendemain” selon les dires de July. Impossible que le grand patron nous ait laissé ça comme ça. Je pense plutôt qu’il s’agit d’une idée de quelqu’un qui n’a pas osé en parler, ou qui a tenté mais qui n’a pas été écouté.
Je me dis également qu’on pourrait même organiser ça autrement. Chacun des irpiri a un document récapitulatif des llakisiña devenu p’akitha qu’il devra me rendre en fin de journée afin que je puisse me faire une idée globale et diriger les uñjiri en fonction. C’est également une idée qui me semble bien meilleure. Je la proposerais en réunion. Je ne veux pas inquiéter mon amie inutilement. Si elle a quelque chose à y redire, elle pourra le faire en réunion.

Nous arrivons au Centre et j’annonce, un peu à regret bien que je le cache pour tous ceux ne me connaissant pas :



Dans une certaine mesure, comme à chaque fois que nous terminons ce moment de pause avant le travail, je regrette qu’il soit aussi court. J’arrive plus facilement à me détendre quand elle est à mes côtés.

Ainsi ce système est mis en place depuis un moment et ma meilleure amie a pris l’initiative de s’en occuper. Je ne me rappelle pas avoir vu ces documents en allant dans les archives. Pourtant, il me semble venir assez régulièrement pour me rendre compte de ce genre de changements. L’aurait-elle rangé à une place étrange ou serait-ce caché par d’autres documents mal rangés ? Je verrai bien quand elle me montrera tout ça.
Je n’aime pas spécialement qu’elle ne m’en ai pas parlé. Les réunions sont justement faites pour donner ce genre d’informations. Depuis quand les irpiri gardent des informations pour eux sans en informer les autres ? Quelque chose ne va pas. Même si le nombre de p’akhita a baissé depuis ces trois dernières années, je refuse de laisser tout le monde se reposer sur ses lauriers, d’autant plus que nous ne sommes plus autant qu’auparavant.

Sans m’attarder plus sur ce faux pas pour lequel elle semble s’en vouloir, je demande à mon ami de me montrer l’endroit où ces papiers sont entreposés. Tout d’abord les archives où, effectivement, des rangements ont été mal effectués, en cachant d’autres. Qui donc s’occupe de tout ça ? Comment avons-nous pu laisser les choses tourner de la sorte. Bien que je sois énervé, je n’en montre rien, même en demandant à July de m’emmener à la salle de réunion. Cette fois, le papier n’est pas spécialement caché. Néanmoins si on ne connaît pas son existence, impossible de deviner où il pourrait bien se trouver. Agacé, je me pince l’arrête du nez un instant avant de récupérer le papier et le regarder en profondeur. Malgré les quelques incompréhensions que nous avons eu durant notre conversation, il s’agit bel et bien de ce à quoi je pensais. Bon. Je n’ai plus qu’à me dégager du temps et sacrifier quelques heures de sommeil pour préparer une prochaine réunion.

Je rends le papier à mon amie et, sans vouloir lui reprocher quoi que ce soit, je lui demande :



Je lui laisse le temps de lui faire savoir :



Je me doute bien que le rangement de cet endroit n’est pas de son ressort à elle, néanmoins les irpiri sont responsables de la gestion des informations. Depuis quand ? Non. Qu’importe depuis quand c’est ainsi. Ce qui commence à me faire peur c’est que ce manque d’application dans le travail puisse toucher d’autres domaines. Quel enfer ! Je vais devoir demander une enquête et un rapport détaillé à mon équipe. Cela ne plaira à personne, mais en voyant l’état de nos services je n’ai pas le choix que de prendre ce genre de décision. Notant tout ceci dans un coin de mon esprit, je commence à sortir de la salle de réunion, ayant déjà pas mal de travail à faire alors que je ne suis pas encore passé par mon bureau.