Une pause avant le travail [Ayden]

Cela fait bien longtemps que je ne fais plus de grasse matinée. Cela ne serait qu’un frein à mon devoir. C’est ainsi que je le vois et, lorsque je constate que les ilakiens ont une vie un peu plus paisible depuis lors, je ne peux que m’en féliciter. Je déteste voir toutes ces personnes souffrir plus que nécessaire. Je me demande même souvent pourquoi certains cherchent autant à déterrer ce qui devrait rester caché à tous.

Cette nuit, j’ai passé une grosse partie de mon temps à surveiller le quartier. Ce n’est que lorsque je ne supportais vraiment plus mes migraines malgré les pauses toutes les heures que j’ai fini par rentrer et aller me coucher. Il était quoi… quatre heures du matin, peut-être. Puis, deux heures plus tard, je me suis levé pour commencer cette nouvelle journée. J’ai pris le temps de prendre un douche et de soigner un peu mon apparence avant de sortir de chez moi. Tout comme pour les nuits blanches, je ne compte plus le temps passé sans que je prenne un repas chez moi. Je crois que tous mes placards sont vides. En même temps, cela serait une perte de temps phénoménale que je peux passer à veiller sur la sécurité de tous et régler des problèmes bien plus importants que ma petite personne.

Marchant vers le café, je suis à peu près certain que je trouverais mon amie en train de m’attendre. La question que je me pose serait : plutôt en terrasse ou en intérieur ? Généralement, je préfère les sièges confortables de la salle, mais je n’irais pas me plaindre de son choix. Je ne souhaite pas qu’elle se sente coupable pour si peu. Puis, il fait très beau, aujourd’hui. Il serait dommage de ne pas profiter d’une si belle journée.
J’arrive assez rapidement sur place et je n’ai pas à chercher bien longtemps l’endroit où mon amie s’est installée. Pas de banc confortable pour moi aujourd’hui. Tant pis. Je profite qu’elle semble dorer au soleil pour aller à l’intérieur pour aller commander mon petit déjeuner et récupérer le sien. Ma tête est maintenant bien connue depuis le temps. Les llakisiña qui s’occupent de cet endroit sont adorables et sont passionnés par ce qu’ils font. Un boulanger pâtissier et une barista qui travaillent en équipe tout en se soutenant mutuellement dans leur deuil. C’est magnifique à voir pour moi.

Rapidement, ils me préparent ma commande et celle de mon amie qu’ils me mettent sur un plateau que je n’ai plus qu’à remercier. Je les remercie avec un chaleur qui m’est propre et à laquelle ils sont habitués avant de rejoindre Victoria. Voulant la taquiner, je lui annonce avec un ton extrêmement sérieux en m’approchant d’elle :



Observant sa réaction, je pose le plateau sur la table et m’installe sur une chaise près d’elle. Je prends ensuite mon café noir et en bois deux bonnes gorgées. Il va m’en falloir encore pas mal aujourd’hui, comme tous les jours. Je sais que la caféine n’est pas spécialement bonne pour la santé, mais je préfère ça à laisser les rues de ma ville devenir un véritable enfer. Je me demande comment les personnes étant de service la journée font pour dormir sur leurs deux oreilles la nuit. Et vice-versa. Pas que je n’ai aucune confiance en mes coéquipiers, bien au contraire sinon je serais constamment dans leur dos. C’est le délai trop lent pour avoir les alertes qui m’effraient. A-t-elle elle aussi ce genre de problèmes ?



Je sais qu’elle va beaucoup mieux maintenant qu’elle a fait son deuil et a choisi de devenir une irpiri. Ce choix ne m’a jamais étonné et le rôle qu’elle a maintenant sur les épaules lui va à ravir. Néanmoins, alors que j’entame ma tarte aux pommes, je me dis qu’elle va finir par utiliser ce rôle pour vouloir m’aider. Observatrice comme elle est, elle a sans doute remarqué que je passe de plus en plus de temps au bureau ou dehors, bien que cela ne date clairement pas d’hier. N’avais-je pas déjà commencé lorsqu’elle était encore une llakisiña ? C’est fort possible. J’ai totalement occulté l’idée de compter le temps qui passe. Après tout, cela ne sert strictement à rien.

Ma petite plaisanterie fait son petit effet et je suis très amusé par la première chose qu’elle fasse soit de vérifier la véracité de mes propos. Cela fait naître un fin sourire que seuls mes amis, comme July, sont capables de percevoir. Puis, s'apercevant que ce n’était qu’une simple boutade, la voilà à ronchonner faussement. Je ricane gentiment face à son attitude alors que je m’installe à ses côtés et entame mon café. J’apprécie vraiment ces petits moments que je passe avec elle durant mon seul instant de détente de la journée.
Je ne peux que la croire quand elle me dit qu’elle ne savait pas si j’allais venir. Après tout, je ne suis pas toujours au rendez-vous, répondant toujours présent aux urgences qui me sont confiées dans l’heure qui suit. Je ne veux pas faire attendre les personnes en détresse juste pour m’occuper de ma poire. Au moins, elle se montre ravie de me voir et de constater que je lui apporte le petit déjeuner.



Suite à cela, alors qu’elle allait entamer sa viennoiserie, je lui demande si elle a passé une bonne nuit. Une question qui pourrait, je le sais parfaitement, se retourner contre moi. Après tout, elle est bien trop observatrice et nous passons assez de temps ensemble pour que cela lui ait échappé depuis le temps.
Comme pour me donner raison, elle me répond fièrement que ses nuits sont excellentes puis, après avoir pris une bouchée de son petit déjeuner tant attendu, les constatations pointent le bout de leur nez. Ainsi que des questions destinées à mieux comprendre les raisons qui me poussent à si peu dormir et des solutions auxquelles j’ai déjà pensé des milliers de fois mais qui gardent toujours la même problématique.

Pour le coup, malgré ses propositions et son inquiétude bienveillante, mon expression se rembrunit. Je m’étais déjà posé la question de la manière dont on pourrait améliorer la communication ou la vitesse des interventions, malheureusement nous ne pouvons généralement pas changer le système par nous-même, et surtout sans son aval. Après tout, Il est notre supérieur hiérarchique et le maître de la ville.
Doucement, je secoue la tête pour répondre à sa proposition de dessiner, écoutant tout de même sa proposition de me faire à manger. Je lui réponds par une question après avoir prit une nouvelle bouchée de ma tarte aux pommes :



Avant de me plonger sur les pourquoi du comment, je préfère lui demander son avis à ce propos. Je ne veux pas qu’elle ait l’impression que je la rabroue ou que je refuse catégoriquement son aide. Je ne compte pas lui faire un dessin pour qu’elle utilise son pouvoir sur mes émotions. J’aurais bien trop peur de trop en dire, surtout dans cet endroit rempli de llakisiña, même si les uñjiri sont protégés contre les effets des pouvoirs qui pourraient leur faire dévoiler ce qu’ils ne doivent pas. Néanmoins, rien ne m’empêche de débattre un peu avec elle et de discuter de quelques-unes de mes inquiétudes.

Ma question lui apporte visiblement matière à réfléchir. Patient, j’utilise ce temps pour déguster mon petit déjeuner sans me presser, profitant des rayons chauds du soleil sur ma peau. Finalement, c’était une bonne idée de nous installer ici. J’ai bien fait de ne pas lui demander de rentrer à l’intérieur avec moi et simplement de suivre son envie. Après tout, j’ai beau passer le plus clair de mon temps en extérieur, je ne prends jamais le temps de m’attarder sur toutes les petites choses agréables que je vis. Je le sais, et j’étais conscient que ce serait ainsi quand j’ai décidé de commencer à changer ma manière de gérer les choses.

Sa réponse ne tarde pas et je comprends que les irpiri ont sans doute moins de soucis quand il s’agit des urgences. Quand on y pense, une grande partie de leur pouvoir consiste à récolter et traiter des informations, contrairement aux uñjiri qui sont plutôt des soutiens et des attaquants. Il est donc normal qu’ils aient moins de soucis que nous.
Tranquillement, la laissant terminer ce qu’elle me dit, je bois mon café et je repose la tasse à moitié vide sur sa soucoupe. Puis, tranquillement, je réponds à ses interrogations :



Je fais attention à ne pas révéler des informations qu’elle ne devrait pas savoir, même si elle est maintenant une irpiri. Je ne tiens pas à franchir par erreur une limite et en payer les conséquences. Cela est arrivé bien trop de fois et les uñjiri coupables n’ont plus jamais été revus. Le grand patron ne plaisante pas avec ce genre de choses.
Un peu pensif, je bois une nouvelle gorgée de café avant de reprendre mon explication calmement malgré mon air un peu plus sombre :



La perte de tous ces uñjiri à cause des secrets du monde nous a amené à voir notre nombre diminuer drastiquement, ralentissant par la même occasion notre efficacité. Malheureusement, cette diminution d’effectif peut s’avérer terriblement négative pour le futur de Ilaki. Néanmoins, l’expliquer ici est dangereux, c’est pourquoi je n’en dis pas plus que ça.

Cela se voit qu’elle n’est pas une irpiri et une psychiatre pour rien. Son écoute est exemplaire. Par contre, elle n’a pas besoin de me dire ce que pensent ses patients au cas par cas pour que je sache que les p’akhita ne sont que des victimes. Je me doute que les situations plus qu’effrayantes ont un rapport soit avec le deuil, soit avec la manière dont ils sont devenus ce qu’ils sont maintenant. Comment pourrait-il en être autrement ? Mis à part leurs actions qui pourraient mettre tout le monde en danger, ils ne sont que des ilakiens lambda atteints d’une maladie incurable. Je les plains, à n’en point douter. Néanmoins, je ne peux pas leur pardonner qu’ils cherchent toujours à vouloir faire éclater les tabous malgré nos mises en garde. Ils ont beau être à plaindre, ceux qui font du mal aux autres n’auront pas le droit à ma pitié. Je ne sais pas si mon amie s’en rend compte, de la position dans laquelle je suis vis-à-vis d’eux.

Elle tente de me rassurer concernant sa contribution si jamais un danger venait à éclater, ce à quoi je lui offre un simple hochement de tête. Alors que je fais tourner mon reste de café dans ma tasse, je me demande si elle parle toujours exclusivement des p’akita ou de manière générale. Au vu de son grand cœur, je doute qu’elle ne se limite qu’à un seul problème sur tous ceux qui nous concernent. J’espère seulement qu’elle ne fera pas de folies.
Plongé dans mes pensées, je ne cesse de penser à notre manque d’effectif grandissant, les ilakiens choisissant trop peu de devenir des uñjiri, sans doute par crainte du poids des secrets qui entourent cette ville ou de ce que nous représentons. Je peux le comprendre. En général, nous sommes tous des justiciers dans l’âme et tout ce que nous voulions c’était contribuer à la sécurité de chacun. A quel prix ? Cela dépend de chaque individu, de sa sensibilité, de ce qu’il est capable de supporter… Beaucoup de facteurs entrent en compte.

Ramenant mon attention sur elle, mon amie me demande si elle doit me parler de tout problème qui pourrait concerner Ilaki. Au vu de son pouvoir et son métier, il est vrai qu’elle est un des piliers qui nous aide. Néanmoins, ce que je comprends me fait un peu peur. Je la laisse terminer ce qu’elle a à dire en terminant mon café.
Gardant mon sang froid, je lui explique en lui cachant tout ce que je peux bien penser en cet instant pour la protéger elle et ceux qui nous entourent qui n’ont pas besoin de m’entendre dire du mal d’un irpiri, posant ma tasse sur sa soucoupe pour la dernière fois :



Je dois lui en parler plus amplement. Toutefois, l’endroit étant mal choisi, je me lève et je lui fais signe de me suivre :



Je lui laisse le temps de terminer avant de la guider vers le centre d’informations, notre lieu de travail. Nous n’avons pas besoin de payer, tout étant gratuit à Ilaki. Le fait que nous ayons terminé nos plats est amplement suffisant pour eux, de même que nos sourires et nos remerciements.
En marchant, je lui demande tout de même pour ne pas laisser un silence trop lourd entre nous :



Afin de savoir ce que j’ai à lui apprendre, tout en restant dans le secret auquel je suis tenu, je dois connaître la réponse à cette question. De toute manière, conter des faits qui ne font que répéter ce qu’elle doit entendre régulièrement ne devrait pas la choquer sur le coup, mais je me demande ce qu’il en sera une fois qu’elle aura connaissance de ce passé dont j’ai été témoin.

Acceptant docilement de me suivre malgré le peu de temps de détente dont nous avons profité, mon amie répond à ma question à la négative. Selon elle, son travail ne lui donne ni le loisir, ni l’occasion d’aller voir les archives. Je peux comprendre, il ne s’agit pas de son domaine. Mais cela confirme qu’elle n’a pas connaissance de ce fait passé qui n’était pas beau à voir. Heureusement, dans un sens…



Alors que je lui montre ainsi ma compréhension et mon écoute, elle allume une nouvelle cigarette. Puis, elle cherche à comprendre la raison pour laquelle je souhaite m’éloigner des autres, me rassurant concernant ce que je peux lui dire ou non. Je n’avais aucun doute sur le fait que je puisse lui dire ce que j’ai à lui apprendre. Je lui explique donc :



Question rhétorique dite avec gentillesse. Je sais qu’elle comprendra puisque son but est d’amener les llakisiña à faire leur deuil, de les amener vers cette finalité qu’elle a connu, bien que tous ne choisiront pas sa voie. Alors, je l’emmène avec moi vers le Centre d’informations dans lequel nous travaillons, passant par un coin extrêmement peu fréquenté. Je profite que personne ne soit là pour lui expliquer :



Je la laisse digérer cette information tout en continuant de marcher. Elle n’a pas connu cette période, je le sais. Il est donc certainement difficile de voir cette ville autrement que comme elle est aujourd’hui. Pourtant, je continue :



Finissant cette phrase, je stoppe ma marche. Les mains dans mes poches, je me tourne vers mon amie et je termine :



Je soupire doucement et reprend doucement ma marche. Regardant le ciel bleu qui nous surplombe, je conclue avec un peu moins de gravité :



Ce n’était pas la première fois et je suis persuadé que ce ne sera jamais la dernière non plus. Pourtant, je suis persuadé que si nous arrivons à trouver un moyen de détecter les p’akhita le plus rapidement possible, alors nous pourrons limiter grandement les dégâts. C’est tout ce que je souhaite, que le maximum de personnes puisse accéder à leur vœu final.